Ceci est un témoignage rendu ensouvenir des dernières semaines de la vie de mon grand-père.

Son « sort s’est joué »sur un enchaînement de mauvais concours de circonstances :

En refusant une invitation à dîner le 18 juin 1944, En ne faisant pas parti des 300 détenus libérés de la prison de la Mal Coifféeentre les 20 et 23 août,

En prenant le dernier train qui évacuera les 64 derniers internés de la MalCoiffée dans la nuit du 24 au 25 août à destination de Buchenwald, où ilarrivera le 10 septembre,

En décédant le 4 mars 1945, 38 jours avant la libération du camp de concentration deBuchenwald.

Bourbon l’Archambault, le 18 juin 1944


 

            Ce 18 juin, étant de repos, Jean-Baptiste DURAND revenait d’aller voir sa fille, Marie-Thérèse, en nourrice, chez M. et Mme Jean GOVIGNON, fermiers aux Beugnants, à Saint-Plaisir. Ceux-ci lui avaient offert de rester dîner mais il avait gentiment refusé et était retourné à Bourbon l’Archambault. Son sort s’est joué sur ce refus[1].

 

 

            Témoignage de Mme Jacqueline QUILLIER-JANOT, fille d’Emile QUILLIER[2].

« Je tiens à préciser que nos parents étaient des résistants de la première heure, qu’ils ont pris une part très active à la résistance, et qu’ils ont, jusqu’à l’arrestation de mon père, toujours abrité des résistants.

 

A 20 heures, nous, parents et enfants QUILLIER, accompagnés d’un Polonais et d’un Anglais, parachutés de Londres quelques mois auparavant, nous dirigeons par l’allée centrale du Casino des Thermes, vers le cinéma. A hauteur de l’hôtel des Thermes, notre attention est attirée par des cris venant de deux autos, deux jeunes sont campés sur les marchepieds, armés de mitraillettes.

« Le maquis » murmure-t-on parmi les promeneurs.

Les voitures tournent sur la place des Trois Puits. Nous attendons … « Ils sont chez les QUILLIER … »

Une brève concertation entre les hommes : « Ce n’est pas le maquis !  C’est peut-être la milice ».

Notre père décide alors que les deux résistants qui assurent la liaison du maquis avec Londres, à l’aide de deux postes émetteurs, doivent partir immédiatement vers l’église où un prêtre polonais peut les aider. La famille QUILLIER leur donne une heure pour se mettre hors d’atteinte ; au bout d’une heure, ils retourneront vers leur domicile.

La maison des trois Puits est investie. Les Bourbonnais s’attroupent à l’écart mais n’osent interpeller ceux qu’ils prennent pour des maquisards parmi lesquels ils ne reconnaissent aucun visage familier. Louis PEROZ[3] et Jean-Baptiste DURAND décident, dans un élan patriotique louable, de se mettre à la disposition du maquis (il faut bien se rappeler que le débarquement a eu lieu depuis le 6 juin et que les maquisards sont très actifs). A partir de ce moment là, L. PEROZ et J-B. DURAND sont toujours suivis par les miliciens. Ceux-ci se renseignent de l’endroit où ils peuvent trouver les QUILLIER qui ne sont pas chez eux.

Au parc, où L. PEROZ et J-B. DURAND nous ont rejoints, nous sommes sous surveillance et ne pouvons plus espérer partir. Notre père essaie de dire à L. PEROZ de se sauver, s’il en est encore temps, mais il ne comprend pas.

Les miliciens qui fouillent la maison, ont, bien sûr, découvert les deux postes émetteurs dont se servaient les deux résistants pour assurer la liaison avec Londres. Ils arrêtent J-B. DURAND, L. PEROZ et la famille QUILLIER, les amènent à l’hôtel des Sources, où les interrogatoires commencent pendant que la fouille continue.

Entre temps, un camion allemand est arrivé. Dans les salons de l’hôtel, nous sommes fouillés ainsi que les clients présents et gardés par des hommes en armes. Parmi ces clients, se trouvent deux juifs : Pierre WILDENSTEIN et Alain (Alejzy) EHRLICH (ancien champion du monde de ping-pong) qui rentre d’un match à Toulouse.

Nos parents nient connaître l’existence des postes, ce qui ne peut convaincre les Allemands.

Après avoir déménagé argenterie, meubles de valeur, argent (il y avait une grosse somme destinée au maquis), les miliciens et les Allemands arrosent la maison d’essence et y mettent le feu. Ils restent là à accomplir leur forfait ne laissant pas approcher les pompiers venus éteindre l’incendie.

L. PEROZ, J-B. DURAND, mon père, les deux juifs, sont invités sans ménagement à monter dans le camion et vont rester là à regarder brûler la maison. Le camion prend ensuite la direction de Moulins. Ils sont internés à la prison de la Mal Coiffée où ils seront interrogés et martyrisés.

 

            Compte-rendu du commandant LEFEVRE, commandant la section de Montluçon, sur l’arrestation par la police allemande du gendarme DURAND de la brigade de gendarmerie de Bourbon l’Archambault :

« Le 18 juin 1944 entre 20 et 24 heures, des opérations de police ont été effectuées par les autorités allemandes à Bourbon l’Archambault. Au cours de celle-ci, le gendarme Jean-Baptiste DURAND de la brigade de cette localité a été arrêté par la police allemande et conduit ainsi que d’autres civils à Moulins …

Cette arrestation n’a été connue que le 19 juin vers 11 heures, au moment du rassemblement des militaires de la brigade en cours de départ pour le regroupement de Moulins-La Madeleine.

Le commissaire des Renseignements Généraux de Moulins-La Madeleine a été avisé de cette arrestation. Il en a informé le Préfet de l’Allier. Le lieu de détention du gendarme DURAND n’a pu encore être découvert. Des recherches sont actuellement faites à Moulins. »

 

            L’action des miliciens aurait été décidée suite à des indiscrétions ayant indiqué que la famille QUILLIER détenait de l’argent destiné au maquis. Les deux personnes responsables ont été identifiées à l’automne 2004.



[1] Témoignage de Mme Govignon
[2] Né le 16/02/1907, électricien
[3] Né le 13/03/1906, mécanicien de cycles

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